Sur une proposition curatoriale d’Aurélie Amiot, directrice artistique de la galerie Modulab.
vernissage
le jeudi 20 janvier 2022, de 18h30 à 21h00
avec le soutien de la Maison de Champagne Chassenay d’Arce
—
exposition
21 janvier – 10 mars 2022
—
ouvert au public du mardi au samedi de 12h00 à 18h00,
sauf les jours fériés
Centre d’art Passages
9 rue Jeanne d’Arc
10000 Troyes
—
www.cac-passages.com
Une exposition à quatre mains
Nous devons à Aurélie Amiot, directrice artistique de la Galerie Modulab – Metz, la belle idée de réunir, à l’invitation du CAC / Passages – Troyes, père et fille dans une même exposition.
Irma et Charles Kalt, à trente ans de distance, puisent tous deux dans le trésor des arts mineurs pour traiter de motif, de trame, d’écriture, d’impression, comme autant d’expériences révélatrices : les motifs pour eux ne sont plus seulement des laisses de mer où s’inscrit le ressac de la forme, mais des formes en formation, prenant corps dans un support dont elles préfigurent la tournure. C’est précisément ce que l’art ornemental réalise dans ses phases d’invention (art néolithique, art des grandes migrations, art byzantin, arts de l’Océanie), c’est ce que nous apprend le philosophe Henri Maldiney dans « Art et existence ».
Dans le vivier des arts mineurs
Charles Kalt a comme médium de prédilection, l’impression, le dessin en impression. Il s’agit pour lui, paradoxalement, de produire à partir du sériel, de l’unique ! Pratiquer ainsi une circulation entre unique et multiple. Dans ses livres, livres d’artiste au sens large, les propositions plastiques s’assimilent à des partitions musicales : sa façon à lui de trouver la présentation capable de conférer au livre la présence. Quand chaque page est différente. « Un livre ouvert s’expose en lui-même, pour ainsi dire à l’état libre, comme une chose indépendante, non pas en face, à distance d’objet, mais en vis-à-vis, c’est à dire de visage à visage. » (H. Maldiney, ibidem)
Les livres, volumen, portfolios, leporello de « ck éditions » seront à dévisager en parallèle dans la Médiathèque de Troyes, au sein de la prestigieuse collection de livres des Chartreux.
Utopie. Passer de deux dimensions à trois, réactiver, réveiller des œuvres en latence, rejouer la mise en espace en fonction des contextes : le mouvement de la toupie !
Un cabinet de curiositésEn bonne partie, on comprendra que l’esprit qui aura présidé à l’exposition est celui du cabinet de curiosités qui intègre, avec les précieux carnets qu’on dit préparatoires bien que souvent en apogée, paysages, pierres, objets comme autant d’êtres endormis sur un tapis volant…
Des rituels d’atelier
Pratiquement, cela revient à tenter d’introduire, déployer les rituels d’atelier sur une scène d’exposition : « Que nul n’entre ici s’il n’est géomètre », disaient les Grecs.
SALVE. Cette inscription latine pérenne salue pourtant ici le visiteur sur l’huis du jardin d’hiver, comme une marque de confiance en son esprit et de géométrie et de finesse.
Vers les Superpositions
Dans la grande salle, autre seuil, majestueux celui-là, d’Irma Kalt, un triptyque en panneaux de peuplier encrés de rouge puis gravés, figurant par une infinité de rayures superposées une entrée quasi inaccessible : « Au seuil », 2021. Puis, de Charles Kalt, « Flipper », 2012, monotype imprimé au rouleau compresseur où d’innombrables ondes concentriques colorées figurent un mouvement perpétuel silencieux…
Plus loin, « A bâtons rompus », 2009, des bâtons de bois articulé, peints par segments, présentés ici à l’horizontale en serpents endormis, comme en hommage à André Cadere, le génial inventeur de la « Peinture sans fin ».
Au sol, la sérigraphie en 3 D, « Héron », 2010, vient dessiner un corps cette fois ouvertement tranchant.
Y répondent très près, les bois patinés et gravés d’Irma Kalt, « Rideaux» 2021, où est à l’œuvre concrètement le « vinculum substantiale », le pli, comme lien réel entre des mondes séparés, pli qui se développera bientôt dans les drapés, les mouvements espérés des voiles et textiles enfin, comme en écho subliminal à une vague s’enroulant, se déroulant à l’infini : un monde deleuzien.
Pourtant très vite, les rayures, même contraintes, brisées ou froissées, viendront troubler ce bel ordonnancement : de l’ambivalence de la rayure comme signe de désordre et instrument de remise en ordre…
Plus loin les « Superpositions », le (grand) livre d’artiste puis une Superposition en compression, sérigraphie unique et encore une Superposition murale, 15 feuillets du livre sous plexiglass, toutes œuvres faites à quatre mains ! Figuration de lacs, lacets, entrelacs, nœuds brunniens, comme mathématique des ensembles : l’espace d’intersection du jeu coloré des deux auteurs n’emprisonnant le mouvement dans la page ou sur le plan que pour l’arrêt sur image… La forme comme pli d’espace où celui-ci tout entier s’articule, automouvement de l’espace qu’on appellera rythme.
Une histoire, des sources
Si Charles Kalt se plaît à invoquer la figure d’un grand-père maternel musicien et peintre qui lui aurait enjoint d’embrasser la carrière de plein pied, qui autour de lui eût pu imaginer son rapide apparentement au plus pur minimalisme, façon Donald Judd ? Et Irma Kalt, sur la lancée de sa mère, costumière de théâtre, s’il était prévisible qu’elle se jouerait de plissés, de dessins dans l’espace, de papiers peints, de rayures, son passage à la limite dans l’investigation de l’Art concret, assurait-il qu’elle parviendrait à visualiser une pensée, loin de tout sentimentalisme, de tout mysticisme, une pensée façon Mécanique quantique qui croiserait celle du Père ?
« Tu quoque mea filia ».
Il n’est pour les choses, le monde, pas de propriétés en soi. Il n’existe qu’une séquence
d’interactions et entre celles-ci, il n’y a … rien. La théorie quantique ne peut témoigner que de cette observation.
« Il n’y a pas de liberté dans la liberté, il n’y a de liberté que dans la structure » dit le musicien Wynton Marsalis. La seule manière, Irma et Charles l’ont aussi compris, d’ajointer classicisme et contemporanéité.
Thomas Soriano
Strasbourg le 13.12.2021