Syndrome de la capuche
Le parcours artistique d’Antoine Desailly lui ressemble en tous points. Il est fait d’humilité, de questionnements, de promenades et de territoire ou encore de rencontres. Né en banlieue parisienne, il vit et travaille à Aubervilliers, trouve son inspiration dans son quotidien, dans cet environnement périphérique, la tête souvent vissée sous son bonnet ou sa capuche.
L’humilité d’apprendre et le plaisir d’expérimenter.
Diplômé des Beaux-arts de Paris en 2007, il a développé son travail de peinture, dessin et installation dans une liberté totale d’expérimentation, en se confrontant avec aisance à de nouvelles manières. En 2013, il se fait particulièrement remarquer en faisant la couverture et le portfolio central dans la revue Roven où l’on découvre son travail de dessin sur papier quadrillé, du « sample graphique » pour ainsi dire.
Dans cette série, le motif (un dessin figuratif, narratif même, des éléments de son environnement, fenêtres, briques, voitures à l’abandon) se déploie ou se répète, à l’infini pourrait-on croire. La notion de rythme qui le rattache à la musique y est importante. Ces procédés laissent presque toujours la place pour l’artefact, l’erreur volontaire, le « scratch ». Il semble même parfois que c’est la volonté propre du motif qui s’exprime.
Il y a une grande humanité dans les défaillances de ce qui pourrait sembler être une mécanique.
En peinture, Desailly choisira, dans une autre série, l’objet, plus exactement le déchet, les détritus, récoltés lors de ses balades.
Ils sont traités comme des natures mortes mais sans aucune préciosité de composition, le cadrage offre presque toujours le même point de vue, en plongée, à plat. Tous les objets sont ramenés à la même échelle. Le vide entoure le sujet, la peinture s’étend dans une harmonie un peu âpre de teintes quasi monochromes, presque des « non couleurs ». Nous sommes dans l’errance mais celle de la pensée, méditative, presque métaphysique. On peut penser à Giorgio Morandi avec ses bouteilles et pots en gré, ou encore à Luc Tuymans et sa façon de mettre à distance l’image. Il y a une volonté de prendre du recul dans ce travail, le temps de la peinture est un temps qui échappe un peu au flux tendu de la société.
Une série de dessins fait écho à ce travail dans le même dénuement d’artifices.
La série des collages, plus récente, est faite de papiers trouvés, souvent très abîmés. Ils pourraient difficilement (quoique l’artiste y parvienne parfois) être réutilisés dans leur fonction de support.
Ces collages procèdent du même dépouillement et montrent aussi toute l’habileté du peintre à organiser les formes et manipuler des teintes aussi subtiles qu’inédites de matériaux voués à disparaître.
Il y a quelque chose de l’ordre du palimpseste dans ce travail, c’est la dernière limite, une manipulation de plus et c’est la désintégration ! On retrouve une ironie singulière propre au formalisme de ce type d’activités et qui se développe également dans des installations d’objets abandonnés puis récoltés par l’artiste lors de ses déambulations.
Le Territoire du banlieusard.
La banlieue est un corridor, un lien autant qu’une barrière. Ce peut être entre Paris et la province, la ville et la ruralité,
ce sont des espaces parfois hors du temps, des terrains hors du monde où pourtant le multiculturalisme est une réalité du quotidien, pas un concept idéologique. Souvent pointés, observés, manipulés ou bien envisagés comme « grand projet », les territoires de banlieue restent toujours un peu incompris et véhiculent leur propre mythologie.
Desailly a fait de cet environnement, dans la banlieue nord parisienne, et de son mode de vie une large zone de découvertes, sans cesse renouvelée, explorée, reconsidérée. Il y trouve des sujets, des objets et s’y relète. Encapuché ou non, il y a marché de toutes les manières, pour découvrir, pour récolter, pour rencontrer, pour atteindre, pour échapper, pour rien.
Ce mode de vie n’est pas sans rappeler quelques expériences littéraires, presque sociologiques. On pense à Georges Perec, par exemple, avec Un homme qui dort (devenu un film) dans lequel le personnage, plongé dans un environnement gris (à part une bassine en plastique rose), s’isole petit à petit et s’exclut du flux d’activités pour penser ou plutôt ne penser à rien. Dans Un livre blanc, Philippe Vasset, ancien reporter, explore les lieux qui ne sont que des zones blanches sur la carte de la région parisienne. C’est une démarche que l’artiste ne renierait pas, aller voir ce qui se trouve sur son propre territoire, là où l’on nous dit que rien n’existe et, même, en ramener un souvenir !
Desailly passe ainsi d’une rue à l’autre, d’un terrain à l’autre, et dans son travail, de la vue fragmentaire, de la saturation, du rythme des « dessins samples » au dépouillement des natures mortes de déchets, aux collages ou à l’installation, puissante de simplicité, de vieilles baskets récoltées et montrées comme un étal de boutique branchée.
Il s’est vu entrer dans une « archéologie urbaine », comme il la nomme, dont il craignait que le développement ne le pousse à répéter une esthétique dans laquelle il a très rapidement perçu un pouvoir de séduction.
Or, Desailly ne rentre jamais dans un système de production et a besoin de mouvement, d’évolution, de se sentir toujours sincère.
Une série de dessins de graffitis montre un questionnement particulier. Dans le graffiti, de petits dessins préparatoires sont souvent esquissés dans des carnets avant d’attaquer un mur ou un train. C’est bien une extension de cette pratique que propose ici le dessinateur en organisant, dans l’espace d’une feuille de papier, un maximum de ces croquis de graffitis.
Il conserve ce lien à l’espace qui est une composante majeure du graffiti.
C’est un retour à la culture qui jalonne son mode de vie, la culture hip hop, au sens large, celle de la rue, qui regroupe tant de formes d’expressions, mais bien loin du mauvais street art des marchands opportunistes. Antoine Desailly porte parfois la capuche, c’est vrai, mais, dit-il, c’est un peu par timidité. Il est sans a priori mais pas sans engagement, il a une colonne vertébrale très lisible. Il ne renie, ni son savoir, ni les étapes qui ont enrichi son parcours. Il a une culture, a appris, suivi des enseignements, transmet également à son tour. Il connaît aussi les codes de la rue et sait créer des liens habiles.
Une démarche toujours questionnée, le syndrome de la capuche.
Il réussit là où beaucoup échouent. Ce n’est pas une chose aisée que de contenir les codes et l’esprit d’une culture de rue en un tableau, un dessin, c’est à dire des objets qui vont orner les murs d’une galerie, d’un centre d’art. Le jeune plasticien sait assumer son passage par les beaux-arts, l’envie qu’il a eu de s’ouvrir au monde de l’art, sans pour autant perdre l’essence de ce qu’il est et aime.
De cette envie de retrouver les sensations de la peinture et du dessin mais aussi l’esprit qui correspond à son quotidien dans un autre type d’énergie sont nés les derniers travaux d’Antoine Desailly. De fait, il assume un hommage appuyé au peintre Philip Guston dont il s’est nourri dans cette nouvelle évolution. Guston fût lui même un modèle de remise en question, un esprit ouvert. Evoluant parmi les expressionnistes abstraits de New York, il a été influencé par une culture au caractère autant social que populaire, à savoir un certain type de bédéistes américains (Guston, comme Robert Crumb d’ailleurs, ont été inspirés par George Herriman, l’auteur de Krazy Kat, un strip très populaire dans les années 1920 à 40). En cela, le type de BD qui influença Guston n’est pas sans écho à certains aspects de la culture hip hop qu’affectionne l’artiste.
Ainsi, ces peintures et dessins récents reprennent la rondeur fragile déjà présente dans les « dessins samples », mais ce caractère est libéré de toute contrainte ou processus, le motif est sorti de la chaine de production et il devient sujet libre qui va contenir des gestes et non plus les constituer. Ses personnages sous capuche sont des autoportraits, miroirs à ceux de Guston, prétextes à déployer, et son geste, et son esprit. Se diriger ainsi vers Guston a du sens pour un artiste qui dit, un brin malicieux, souffrir du « syndrome de la capuche ». Desailly emploie ce terme pour contenir ses questionnements d’artiste autant que ceux liés à l’identité.
De ses dernières productions, il dit qu’elles lui ont apporté une immédiateté qui lui manquait. Il marque le souhait d’introduire dans son travail une part plus importante d’autodérision, de second degré mais aussi de remettre de l’humain, presque une « hyper présence » là où il était fantomatique auparavant. Ainsi, dans la série des doigts cassés, elle aussi citation directe à Guston, un exemple puissant de ce caractère humain poussé ici au grotesque, et l’humour assumé jusqu’au titre révélateur : le panari mystique.
De la même manière, Desailly, qui, en parallèle a toujours fait de la musique et du rap, se permet maintenant d’ôter sa capuche et de performer en public (il a composé dernièrement des titres comme Carotte râpée ou Gangsta triste).
Les derniers choix de l’artiste montrent une volonté de s’inscrire davantage dans son histoire personnelle, dans son temps peut-être et dans une humanité affirmée. Il semble se diriger vers un art moins fragmentaire, décloisonné et plus social où sa personnalité généreuse et empathique s’exprime avec fluidité.
Texte Alexandre Leger, 2018